ALFRED DE MUSSET : VENISE LA ROUGE - LES DEUX VERSIONS


MUSSET vécut des amours passionnelles avec Georges SAND à l'hôtel DANIELLI à VENISE.

Alfred de MUSSET célébra la Sérénissime avant son voyage avec Georges SAND dans la cité des amours en 1934.

Il écrivit la première  version de VENISE LA ROUGE en1828.

La seconde version  emprunte la première strophe du poème initial, mais est nettement  plus désenchantée. Comme MUSSET l'écrivit en 1848, on ne peut accuser la rupture avec Georges SAND qui datait de 14 ans ! Rupture qu'il avait un peu cherchée pépère, c'est quand même lui qui allait courir les bordels de la licencieuse sérénissime pendant que Georges SAND se morfondait dans un palace d'accord, mais malade !


Dans VENISE la rouge (1828)

Dans Venise la rouge,
Pas un bateau qui bouge,
Pas un pêcheur dans l'eau,
Pas un falot.

Seul, assis à la Grève,
Le grand lion soulève,
Sur l'horizon serein,
Son pied d'airain.

Autour de lui, par groupes,
Navires et chaloupes,
Pareils à des hérons,
Couchés en rond,

Dorment sur l'eau qui fume,
Et croisent dans la brume,
En légers tourbillons,
Leurs pavillons.

La lune qui s'efface
Couvre son front, qui passe
D'un nuage étoilé
Demi-voilé.

Ainsi, la dame abbesse
De Sainte-Croix rabaisse
Sa cape aux larges plis
Sur son surplis.

Et les palais antiques,
Et les graves portiques,
Et les blancs escaliers
Des chevaliers,

Et les ponts, et les rues,
Et les mornes statues
Et le golfe mouvant
Qui tremble au vent,

Tout se tait, fors les gardes
Aux longues hallebardes,
Qui veillent aux créneaux
Des arsenaux.

— Ah! maintenant plus d'une
Attend, au clair de lune,
Quelque jeune muguet,
L'oreille au guet.

Pour le bal qu'on prépare,
Plus d'une qui se pare,
Met devant son miroir
Le masque noir.

Sur sa bouche embaumée
La Vanina pâmée
Presse encore son amant,
En s'endormant.

Et Narcisa, la folle,
Au fond de sa gondole,
S'oublie en un festin
Jusqu'au matin.

Et qui, dans l'Italie,
N'a son grain de folie ?
Qui ne garde aux amours
Ses plus beaux jours ?

Laissons la vieille horloge,
Au palais du vieux doge,
Lui compter de ses nuits
Les longs ennuis.

Comptons plutôt, ma belle,
Sur ta bouche rebelle
Tant de baisers donnés...
Ou pardonnés.

Comptons plutôt tes charmes,
Comptons les douces larmes
Qu'à nos yeux a coûté
La volupté!


ALFRED DE MUSSET - Premières poésies (1828)


La seconde version  emprunte la première strophe du poème initial, mais est nettement  plus désenchantée. Comme MUSSET l'écrivit en 1848, on ne peut accuser la rupture avec Georges SAND qui datait de 14 ans ! Rupture qu'il avait un peu cherchée pépère, c'est quand même lui qui allait courir les bordels de la licencieuse sérénissime pendant que Georges SAND se morfondait dans un palace d'accord, mais malade !

Dans Venise la rouge (1844)

Dans Venise la rouge
Pas un bateau qui bouge,
Pas un pêcheur dans l'eau,
Pas un fallot.

  Ah ! maintenant plus d'une
Attend au clair de lune
Quelque jeune muguet,
L'oreille au guet.

Pour le bal qu'on prépare
Plus d'une qui se pare
Met devant son miroir
Le masque noir.

Laissons la vieille horloge
Au palais du vieux doge
Lui compter de ses nuits
Les longs ennuis.

Comptons plutôt, ma belle,
Sur ta bouche rebelle
Tant de baisers donnés
Et pardonnés.

Comptons plutôt tes charmes,
Comptons les douces larmes
Qu'à tes yeux a coûté
La volupté.

...Toits superbes! froids monuments !
Linceul d'or sur des ossements !
Ci-gît Venise.
Là mon pauvre coeur est resté.
S'il doit m'en être rapporté,
Dieu le conduise!

Mon pauvre coeur, l'as-tu trouvé
Sur le chemin, sous un pavé,
Au fond d'un verre ?
Ou dans ce grand palais Nani,
Dont tant de soleils ont jauni
La noble pierre ?

L'as-tu vu sur les fleurs des prés,
Ou sur les raisins empourprés
D'une tonnelle ?
Ou dans quelque frêle bateau,
Glissant à l'ombre et fendant l'eau
A tire-d'aile ?

L'as-tu trouvé tout en lambeaux
Sur la rive où sont les tombeaux ?
Il y doit être.
Je ne sais qui l'y cherchera,
Mais je crois bien qu'on ne pourra
L'y reconnaître.

Il était gai, jeune et hardi;
Il se jetait en étourdi
A l'aventure.
Librement il respirait l'air,
Et parfois il se montrait fier
D'une blessure.

Il fut crédule, étant loyal,
Se défendant de croire au mal
Comme d'un crime.
Puis tout à coup il s'est fondu
Ainsi qu'un glacier suspendu
Sur un abîme...


ALFRED DE MUSSET
  Poésies "A mon frère revenant d'ITALIE" ( mars 1844)